23 Avr A l'ombre du grand baobab
Il y a longtemps, je suis tombé en ma possession, ou plutôt en la sienne, une vieille carte de l'ancienne Afrique équatoriale française, un trésor. J'étalais la carte et j'y restais longtemps plongé, pratiquant mon sport favori, rêvant, planifiant des itinéraires. Dès que je suivais les explorations du comte de Brazza, je partais avec les pygmées Baka dans les jungles de Dzanga Sangha, sur les traces des gorilles de plaine ou des éléphants de forêt. Oui, je sais, ce n'est pas normal, mais c'est la faute des cartes, elles devraient être interdites, toutes, elles sont addictives et invitent à rêver et à perdre la tête.
Sur cette carte, j'ai été puissamment attiré par deux petits points perdus dans le néant, un fragment de savane africaine coincé entre le désert de l'Est et la jungle de l'Ouest. Ce fragment semblait être le cœur même du continent et j'ai toujours pensé que je devais me rendre en son cœur si je voulais commencer à comprendre l'Afrique, le pays des couchers de soleil violets et des nuits étoilées, le paradis du mystère et de l'aventure, le royaume du Lion.
Ces points correspondaient à des Birao dans l'ancienne région de l'Ubangui-Chari, deux fleuves qui délimitaient la région et sur lesquels, d'ailleurs, je ne me doutais pas que je naviguerais des années plus tard. Juste cela, deux petits points de la République centrafricaine à la frontière du Soudan et du Tchad, mais oui, il devait y avoir le cœur de l'Afrique. Alors, poussée par cette inconscience qui m'est si naturelle, et qui a toujours fait le bonheur de mes parents..., j'ai décidé d'y aller.
De ce coin oublié de l'Afrique, je ne savais rien ou presque, ni Livingstone, ni les vers de Rimbaud, ni la folie de Kurtz, ni Barth, ni aucun autre explorateur envoyé par la Royal Geographic Society à la recherche de la Toison d'Or... Seuls les janjawids, les milices islamistes du Darfour, le diable à cheval, semant la mort et la destruction, sont passés par là. Et les rebelles ougandais de l'Armée de Résistance du Seigneur toujours déterminés à imposer par la force un gouvernement basé sur les 10 commandements, une autre folie dangereuse, même si en politique, plus rien ne peut m'étonner...
Il en a été de même pour ceux qui ont échappé au repas de l'empereur Bokassa. Oh, et les parachutistes de la Légion étrangère française, qui ont pris la ville après l'attaque des rebelles. C'est eux qui m'ont appris cette chanson, le Diable marche avec nous... Ces jours-là, le matin nous cherchions à fuir l'horreur, et le soir nous cherchions nous-mêmes à fuir l'horreur que nous avions vécue, en buvant cette saleté de pastis que les Français aiment tant, une autre horreur en effet, surtout pour un homme aux goûts aussi raffinés que les miens.
Je me souviens des nuits sur le chemin du retour à la case, l'obscurité la plus absolue, et ce ciel étoilé, j'en ai rarement revu de pareil, il y en avait tellement qu'elles descendaient jusqu'au sol, là, à l'horizon. Et le silence, rompu seulement par le bruit sourd et monotone d'un générateur lointain, un concert de grillons et de quelques oiseaux et singes, cherchant à me voler mes réserves de fuet et de pain bimbo. Mon trésor...
Au centre du village présidait un grand baobab, à son ombre se concentraient tous les événements importants du village, les annonces, les histoires, les rencontres..... Il avait également un caractère sacré et les esprits des ancêtres venaient se reposer à ses pieds. À côté du baobab se tenait un petit marché, aussi coloré que clairsemé. Il y avait aussi une patrouille de l'armée, six hommes, six uniformes différents, le seul point commun étant les chaussures, toutes cholas, et la kalachnikov, omniprésente en Afrique.
Derrière ce grand baobab s'étendait la ville et ses habitants vivaient dans un labyrinthe de huttes en feuilles de palmier, d'esprits de la savane et de rituels d'initiation.
En face du marché, il y avait un restaurant, La Chuiterie, enfin il y en avait un autre, mais il inspirait encore moins confiance que celui-ci. Le samedi soir, à part quelques villageois, des travailleurs humanitaires de l'UNHCR ou de Médecins Sans Frontières venaient et le bar prenait une autre vie. Les Banga sont connus pour leur musique, et bien sûr, comme vous pouvez l'imaginer, je la jouais à ma façon, en faisant ces mouvements arythmiques impossibles que personne d'autre ne comprend. Le gin tonic, qui me désinhibe. Il y avait aussi une mosquée et une église, qui cohabitaient alors pacifiquement, je ne sais pas ce qu'il en est aujourd'hui après que le pays a été englouti par les violences entre la coalition musulmane de la Seleka et les milices chrétiennes.
Un dimanche sur deux, le curé du village de Ouanda Djallé, à plus de deux heures de route, venait célébrer la messe. C'était le grand jour, les femmes portaient des robes colorées et les hommes un style différent... La messe durait presque deux heures, mais je ne me souviens pas d'avoir assisté à une célébration aussi joyeuse et belle. Peu importe qu'elle se soit déroulée à Sangho, le message est passé haut et fort. Chacun a offert le peu qu'il avait avec son cœur, dans la joie. Les danses et les chants de ces messes resteront à jamais dans ma mémoire. Demandez à ce groupe qui m'a accompagné au nord de la Tanzanie....
Birao était la route principale vers le Soudan, ce qui ne veut pas dire qu'elle était pavée. La route passait devant le grand baobab, qui servait également de terminal pour les passagers, et juste à côté se trouvait une allée d'énormes manguiers qui fournissaient une ombre bienvenue contre la chaleur écrasante. La route allait jusqu'à Am Dafok, à la frontière avec le Darfour, d'où venaient toutes les marchandises soudanaises, ainsi que le mal. De temps en temps, nous nous y rendions, j'aimais beaucoup la couleur ocre de la terre sur la route lorsque la lumière du matin inondait chaque coin. De temps en temps, nous nous sommes arrêtés dans la réserve nationale de St Floris, où l'on dit que l'on peut apercevoir les Big Five (lion, éléphant, léopard, rhinocéros et buffle), bien que je ne me souvienne pas si j'en ai vu un ou aucun. Les braconniers, qui détruisent cette région encore classée au patrimoine mondial de l'humanité...
Là, sous ce grand baobab, j'ai trouvé le cœur de l'Afrique qui battait fort, et une partie de moi y est restée. C'est pourquoi j'ai été si triste lorsqu'un jour un avion est venu me chercher pour ne plus jamais revenir. D'où cette crise de nostalgie.
YOLANDA Orozco de la Plaza
Publié à l'adresse suivante 16:34h, 23 avrilTrès beau Carlos, tu devrais écrire un livre sur tes aventures en Afrique.
Voyons si nous pouvons organiser un apéritif, bss
undiaenlavidadecuchara
Publié à l'adresse suivante 16:22h, 24 avrilBien sûr Yolanda, je cherche déjà un moyen de convaincre quelqu'un qui ose éditer mes histoires. Et pour l'apéro, c'est fait, il faut parler du voyage, il faut commencer à faire du concret. Je t'embrasse
Javier
Publié à l'adresse suivante 18:26h, 23 avrilBien
undiaenlavidadecuchara
Publié à l'adresse suivante 16:20h, 24 avrilMerci mec, je suis content que tu l'aies aimé.
Rous
Publié à l'adresse suivante 09:09h, 25 avrilJ'aime vous suivre et j'aime que vous fassiez ce que beaucoup d'entre nous aimeraient faire..... laisser tout cela derrière eux !!!
undiaenlavidadecuchara
Publié à l'adresse suivante 16:48h, 25 avrilMerci Rous, et j'aime savoir qu'il y a quelqu'un qui aime ce que j'écris.