23 Mai Les enfants de Sirius

J'ai récemment évoqué la route de l'Aéropostale où des pilotes comme Saint-Exupéry et Mermoz risquaient leur vie en traversant le désert pour livrer à temps le courrier de Dakar.

Au fil des années, j'ai eu la chance de rencontrer des pilotes de la même trempe, qui, avec la même dose de folie et le même sens du devoir, étaient toujours capables d'affronter cette piste solitaire du désert libyen. J'ai partagé avec eux l'aventure de voler au plus près des dunes, au-dessus des oasis perdues ou entre les montagnes de l'Akakus. Quelle chance j'ai eue !

Récemment, ils ont effectué leur dernier vol. C'était le 28 avril dernier, ce matin-là, l'avion a décollé, s'est élevé à environ 200 m, puis a plongé dans le sable du désert.

Et par quelques coïncidences, et quelques heures supplémentaires de mon père du ciel, le destin a voulu que je ne sois pas dans cet avion cette fois-ci, sur ce vol. Comme on dit ici, Maktub, tout est écrit.

Je suis donc né de nouveau et je commence donc une nouvelle vie, que je veux commencer à partir de zéro. J'avais pensé la consacrer entièrement à l'ordre, à la vie ascétique et au travail de bureau, mais je vois que je m'embrouille déjà à nouveau.

En fait, quelques jours plus tard, je regardais déjà à nouveau les dunes en pensant à ma prochaine aventure. Comme l'a dit l'astronaute Collins, pour moi, il est impératif d'explorer. Ce jour-là, j'ai rêvé d'atteindre un village qui a toujours vécu isolé et caché, loin, de l'autre côté du désert, derrière les montagnes de l'Akakus, même au-delà du dangereux col de Salvador, au-delà du territoire des redoutables Ifoghas... Plus loin.

C'est ainsi que le peuple Dogon a commencé son aventure il y a des centaines d'années, en partant de Libye et en suivant la route de mes rêves, combien de fois j'ai dû être tenté de l'emprunter... J'ai toujours partagé la tentation d'André Citroën, ce rêveur qui a lui aussi emprunté cette route, déterminé à traverser le Sahara à bord de lourds véhicules à chenilles. Un autre fou sur la liste de mes favoris.

J'ai parfois suivi une autre route, plus accessible, depuis Djenné, en longeant le Bani entre les villages de Bozo et de Kurumba, pour atteindre Mopti, le port le plus actif du Niger. De là, par voie terrestre, alternant paysages désertiques et champs d'oignons verts, on peut facilement atteindre Djiguibombo, le premier village de la faille de Bandiagara, si l'on n'est pas allergique aux oignons comme moi. Il y a aussi sa dose d'aventure, même si ce n'est pas la même.

Comme je l'ai dit, loin de là, coincé entre les murs de la grande faille et le désert orange de Gondo, le peuple Dogon vit toujours là, caché depuis des centaines d'années, après avoir chassé les pygmées Tellem, qui à leur tour ont chassé la culture Toloy, habitants de la faille il y a des milliers d'années. Les Tellem et les Toloy ont fui vers le Congo, laissant derrière eux de minuscules maisons irréelles perchées sur l'escarpement pour toujours. Et c'est là que les Dogons sont restés pendant des siècles, cachés, à l'abri des attaques de l'empire Shongai, des Mossi, de l'islamisation et même des Français... La version africaine des Patones vues d'en haut.

C'est pourquoi les Dogon ont gardé leurs coutumes intactes et ont continué à vénérer le dieu de l'eau, Lebé et Binu, les jumeaux Nommo... et tant d'autres esprits totémiques. Un peuple qui, entre la tranquillité de cette vallée rouge dominée par de gigantesques baobabs, les villages aux greniers à mil pointus caractéristiques et la démarche tranquille de ses habitants, cacherait l'un des plus grands mystères de l'Afrique et la religion la plus complexe du continent.

Le premier à avoir étudié cette culture est l'anthropologue Marcel Griaule, qui a abordé ces croyances dans une perspective cosmogonique. Un livre à lire absolument, même si j'avoue que je n'ai pas compris grand chose (ou peu) et que parfois ma matière grise était sur le point de cristalliser après avoir médité sur ce que je lisais, mais malgré tout, il est essentiel de comprendre la complexité de leurs rituels et de leur symbolisme.

Indispensable pour entrer dans des villages comme Kani Kombolé ou Telly et identifier et comprendre la signification des totems et amulettes que l'on trouve dans les rues, ou la signification des quelque 80 sortes de masques rituels. Nécessaire pour comprendre l'ordre des choses établi par le Hogon, le chef spirituel du village, le seul à pouvoir entrer en relation avec le Dieu Amma, le créateur.

Il faut savoir que Nommo, le dieu mi-reptile est arrivé il y a 3000 ans de la troisième étoile de Sirius, une étoile naine, invisible à l'œil humain, dont l'existence était mystérieusement connue des siècles avant qu'elle ne soit découverte. Ils ont également parlé à Griaule des orbites de cette étoile, de l'existence des anneaux de Saturne, des 4 lunes de Jupiter et même d'une quatrième étoile de Sirius, Emme ya, que les astronomes n'ont pas encore trouvée...

Je me souviens maintenant avec le temps de ces nuits que j'ai passées "la belle étoile" sur le toit d'une maison Dogon en écoutant le Cigala. J'ai vu des cieux avec tant d'étoiles et si proches que j'ai commencé à penser que c'était peut-être vrai, que Nommo venait de l'une d'entre elles.

C'est ainsi qu'ils ont conservé leurs connaissances astronomiques et leurs croyances complexes pendant des siècles, jusqu'à ce que l'islam se répande dans tous les coins du désert et change tout. Ou presque, car chaque soir, l'appel à la prière peut résonner dans toute la vallée depuis les mosquées, mais ils croiront toujours en Amma, le dieu de l'eau, et tous les 60 ans, lorsque Sirius apparaîtra entre les cornes de ces deux montagnes lointaines, ils l'adoreront...