10 mars Tassili N'Ajjer : l'île de pierre dans la mer de sable

On dit qu'au cœur du Sahara se trouve l'un des endroits les plus incroyables et les plus mystérieux du monde. On dit qu'il est inaccessible, que seul le vent peut l'atteindre, caché qu'il est derrière les montagnes de l'Air, du Hoggar et du Tibesti et entouré par l'immensité des déserts du Tanezrouft, du Tamesna et du Ténéré. On dit aussi qu'elle a toujours été un lieu dangereux, si près de la redoutable rencontre des frontières de l'Algérie avec la Libye et le Niger, point de passage obligé des énigmatiques Touaregs et des belliqueux Toubous, toujours insoumis, toujours en guerre. C'est ce qu'on dit...

J'ai aussi entendu dire que Tin-Hinan, la géante du Sahara, y régnait il y a bien longtemps et qu'après sa mort, les mauvais esprits du désert, les terribles djinns, prirent possession du lieu pour toujours. C'est ainsi qu'il fut oublié et perdu, dormant d'un sommeil étrange pendant des siècles, inconscient de tout, et que les premiers explorateurs qui osèrent l'explorer perdirent la raison avec ce qu'ils découvrirent à l'intérieur.

On dit qu'à l'intérieur, parmi un labyrinthe de flèches émergeant d'immenses dunes de sable rose, l'un de ces explorateurs fous, Henri Lothe, a découvert la cité perdue de Sefar, le cadeau le plus secret du Sahara. On dit aussi que là se trouvent les vestiges de l'Atlantide et que dans ses murs se trouvent des peintures anciennes représentant des géants, des personnages étranges, des animaux inconnus et des êtres d'un autre monde. Oui, dit-on...

Et ils disaient qu'entrer là, dans le Tassili N'ajjer, c'était entrer dans un monde irréel, avec des montagnes volcaniques, des gorges profondes et un paysage tourmenté par un vent implacable qui entraîne le sable des dunes douces et incurvées de Moul N'agga ou celles roses de Tin Merzouga, produisant une érosion permanente et capricieuse lorsqu'il se heurte aux étranges formations de Tamezguida. Il est parfois nécessaire de franchir la petite porte de l'Imaginarium pour trouver un monde de fantaisie.

Tant de choses ont été dites... que nous n'avons pas eu d'autre choix que d'aller voir de nos propres yeux, je ne sais même pas comment nous avons pu tenir si longtemps. Alors, profitant du fait que la zone est sûre (car même si elle semble l'être, nous ne sommes pas inconscients), nous nous sommes envolés pour Djanet, cette oasis à la dérive au seuil du mystère et accompagnés de Mohamed et de sa petite "Katiba" nous avons commencé l'aventure en traversant le grand Erg D'admer prêts à conquérir ce rêve.

Ce sont les jours d'harmattan, le vent rouge du désert, toujours violent, qui soulève le sable et donne au ciel une teinte plombée. La visibilité était mauvaise, mais cela n'a pas empêché Mohamed de nous faire découvrir une partie de cette infinité de trésors cachés. Il nous a montré qu'il fut un temps où cette terre était un verger, parcouru par des antilopes, des girafes, des éléphants et des léopards ; avec des rivières infestées de crocodiles et d'hippopotames. Que les pierres le disent.

D'autres peintures illustrent la vie quotidienne au néolithique, et nous avons même vu la très probable première pornographie de l'histoire, que je ne reproduis pas ici par pudeur, mais qui m'a fait réaliser que nous sommes toujours aussi immatures qu'il y a 8 000 ans.

Le coucher du soleil est encore plus spectaculaire que le jour, lorsque le silence règne et que l'on n'entend que le chant des dunes. Il n'y a rien de tel que de sentir le froid de la nuit, avec le ciel infini comme plafond et la terre froide comme seul lit, et d'attendre le lever du soleil, en observant en silence l'arôme des braises d'acacia. C'est alors que je sens vraiment que de ma double existence, le désert a triomphé, toujours aventureux, et enferme pour quelques jours le calme de l'homme responsable que je suis.

Toujours en riant, nous avons parcouru tous les coins du Tassili et dormi toutes les nuits à l'abri du vent, dévorant la nourriture de Mohamed au coin du feu, écoutant les ronflements d'Issa (et d'autres qui le nient) et les chansons de Mousa (surtout une qui m'emmenait vers d'autres bras lointains), jusqu'à ce que nous n'ayons plus d'autre choix que de retourner à Djanet, sur le chemin de la maison.

J'ai fait d'autres voyages, j'ai eu d'autres rêves et j'ai connu la magie d'autres déserts, plus durs et plus lointains, mais celui-là... celui-là m'obligera à y retourner encore de nombreuses fois, je le sais (Pedro, c'est maintenant que je te dis que Desertando t'y emmènera en octobre prochain..., c'est tout).