25 Avr Aux portes de l'enfer
Cette fois, je vais essayer de vous surprendre en vous emmenant dans l'endroit le plus bas, le plus chaud, le plus sec et le plus inhospitalier de la planète (et non, je ne parle pas de Hoyo de Manzanares en plein mois d'août).
Cela semble bien, mais si je vous dis aussi qu'on y trouve des montagnes de sel, des mers pétrifiées, des plaines sans fin de sel brûlant et de sable brûlé, des volcans en éruption et l'une des tribus les plus hostiles d'Afrique, alors vous trouverez certainement cet attrait irrésistible.
C'est ce qu'a ressenti Nesbitt, le premier à s'être aventuré et à avoir survécu pour le raconter, puis Rimbaud et Thessiger, et c'est ce que j'ai ressenti longtemps après. L'un après l'autre, nous nous sommes tous retrouvés là, âmes nomades attirées par une terre de nomades. C'est là, dans le Danakil, qu'on dit que l'Ethiopie garde jalousement la Porte de la Terre et le silence du désert.
J'étais particulièrement obsédé par trois joyaux cachés dans ce désert, éloignés, inaccessibles, exigeants, à l'abri des touristes de Simpson, rien que pour moi : le lac Abbe, le lac Assal et surtout, le Dallol, le seul volcan au monde sous le niveau de la mer et l'endroit le plus chaud de la planète. Comme vous pouvez l'imaginer, j'y suis allé, plusieurs fois, j'ai traversé l'Éthiopie, Djibouti, toutes les routes, il fallait que je me débarrasse de cette obsession, mais même pas pour ça. J'y suis allé pour cela et pour ma collection, car je ne collectionne pas seulement les déserts, j'ai aussi mon propre atlas des endroits impossibles. J'y ai inscrit ces lieux aussi spectaculaires qu'étranges, où le monde réel et le monde des rêves semblent séparés par une ligne très mince. Il en est ainsi du Dallol, un paysage lunaire, mais presque aussi inaccessible, un lieu impossible.
De ces explorations passées, je retiendrai celle de Nesbitt, le premier à l'avoir traversé du nord au sud, qui a exploré la région pendant trois mois et demi avec une caravane d'un peu plus de 20 chameaux. À la fin de son voyage, il décrivit l'endroit comme suit "Une terre de terreur, d'épreuves et de mort.. Et je n'exagérais pas, j'ai pu moi-même constater combien il était difficile de traverser ces terres brûlées par des jours de calme étouffant ou fouettés par des vents violents chargés de poussière. Heureusement, je ne me suis pas plaint (ou presque) et à la fin de la journée, le poste militaire d'Ahmed Ela, au pied du Dallol, a bu quelques bières, celles qui font transpirer... Pour en revenir à l'expédition de Nesbitt, qui m'a éparpillé, à cette époque, les Afars contrôlaient toutes les routes désertiques vers le nord et étaient connus pour leur sauvagerie et leur agressivité, leur trophée favori étant les testicules de leurs ennemis. En fait, les trois expéditions qui l'ont précédé ont été massacrées et, selon la tradition afar, leurs testicules ont été intégrés à un magnifique collier de perles très facile à porter. Nesbitt a réussi, bien qu'à plusieurs reprises il ait mis en danger sa progéniture potentielle, perdant plusieurs de ses hommes lors d'attaques afars.
J'avoue être aussi attiré par l'aventure de Rimbaud, le voyageur perpétuel. Il voulait commercer avec les Afars et organisa pour cela une caravane de plus de 100 chameaux qui traversa le désert jusqu'à Tadjoura, à Djibouti. Le seul étranger entouré de mille dangers. C'est ce qu'il a ressenti, mais il a aussi réussi. Il est parti de Harar, la ville sainte. Fermée aux étrangers jusqu'à ce que Richard Burton en franchisse les portes pour la première fois. Quatre-vingt-dix-neuf mosquées, une pour chaque nom d'Allah. Impressionnant appel à la prière du soir. Harar, la ville marchande, irrésistible. Le meilleur moment pour s'y rendre est en avril, quand les jacarandas fleurissent et couvrent la ville d'un manteau pourpre, et qu'un boulevard de bougainvilliers marque la sortie vers le désert. Il faut y aller, en avril...
Si, par hasard, vous ne disposez pas d'une centaine de chameaux ou de quelques mois pour parcourir le Danakil à votre guise, ne vous inquiétez pas, il existe des options moins exigeantes et très gratifiantes. Il vous suffit de prendre l'avion jusqu'à Mekele, puis de descendre jusqu'à la ville d'Ahmed Ela. Avant d'arriver à Ahmed Ela, vous verrez quelques forêts de mimosa ou des dragonniers isolés, mais à partir d'Ahmed Ela, c'est le désert qui règne, quelques acacias rachitiques que la mort a trouvés debout et peu d'autres choses jusqu'à ce que vous atteigniez le Dallol. Là, la terre bout, encore plus, et les geysers fumants ont sculpté d'étranges formations à côté de bassins aux couleurs irréelles. Un spectacle unique et indescriptible.
Non loin de là se trouve la montagne de sel, avec d'autres formations aussi différentes qu'étranges, des plaines de sel, un lac d'huile et bien sûr les marais salants, où travaillent les extracteurs et les sculpteurs de blocs. Chaque soir, il est possible de voir de longues caravanes de chameaux transportant le sel extrait pour le vendre au marché de Berahile. Il reste peu de ces caravanes, un monde perdu qui refuse de s'éteindre... Un autre spectacle impressionnant.
Non loin de là, mais sur la pire piste du monde, se trouve le volcan Erta Ale, l'un des rares au monde à posséder un lac de lave dans son cratère. Grimpez-y et essayez de dormir à quelques mètres du cratère. C'est le dernier spectacle que je vous propose pour aujourd'hui.
Nesbitt, Rimbaud et Thessiger ont chacun mis plus de 60 jours pour explorer ce désert, mais quatre jours seulement suffisent pour parcourir le Dallol, visiter des plaines salées, escalader un volcan en activité et voir quelques-unes des dernières caravanes traversant le désert.
Il semble que le manque de temps ne soit plus une excuse, trouvez-en une autre.
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