05 Avr Dakhla, au-delà du néant
Depuis l'époque phénicienne et jusqu'à l'arrivée du Portugais Gil de Eanes qui osa doubler le cap Bojador, cette partie reculée de l'Afrique était considérée comme le symbole de l'inconnu, le lieu de la Mare Tenebrosum derrière laquelle il était impossible de s'aventurer sans avoir la certitude de ne jamais revenir. Les étranges chroniques du voyage de Hanon n'ont pas non plus contribué aux explorations, sans parler du fait que Ptolémée a baptisé cet endroit sur la carte "le cap de la peur".
Comme Hérodote et les autres se sont trompés en affirmant qu'il n'y avait rien au-delà de ces terres, car la chaleur y était si extrême que la vie y était impossible et que tout homme qui osait s'y aventurer devenait noir ipso facto (dans mon cas, cela prendrait un peu plus de temps, ayant passé par toutes les nuances de rose au préalable). Mais bien sûr, ils le disaient dans un latin parfait, plus ultra nihil est (au-delà, il n'y a rien), et cela semblait tellement vrai que personne n'en doutait.
Dieu merci, ils se sont trompés, car s'ils étaient allés quelques kilomètres plus au sud, ils auraient trouvé l'un des endroits les plus incroyables que je connaisse, Dakhla.
Je les plains, ils l'ont raté, ils n'ont pas eu la chance de voir l'entrée par cet isthme de sable blanc, de mer turquoise et de roche noire, la plage de la Duna Blanca, les colonies de flamants roses et l'île du Dragon. Ils se sont perdus le long d'une côte accidentée battue par l'irifi, ce vent d'ouest qui m'a rendue si indépendante après tant de coups de fouet. Ils n'ont pas pu goûter cette brochette de gazelle dorca, fraîchement attrapée entre les dunes qu'un ami sahraoui m'a offerte, ni savourer quelques danses au restaurant Samarkanda, alors que de l'autre côté de l'estuaire et comme un chant de sirène, on entend l'appel d'El Aargub, piégé par le désert. Ils n'ont pas non plus pu s'approcher de la Punta de la Sarga, apercevoir des orques et, avec un peu de chance, les derniers phoques moines. Ils ont manqué tout cela...
C'est Dakhla, "l'entrée", la porte du paradis, même si pour moi ce sera toujours ma chère Villa Cisneros, notre plus ancien détachement au Sahara occidental, depuis 1884, date de sa fondation par l'africaniste Emilio Bonelli. Elle a toujours été pour moi un lieu de rencontre pour les légionnaires, les méharistes, les Sahraouis, les pêcheurs, les parachutistes, les chercheurs de rêves ou d'aventures, les gens durs, avec mille histoires écrites sur une peau tannée par le soleil et le sirocco. Aujourd'hui, ce sont des gens différents qui viennent ici, mais toujours des aventuriers, et personne ne part sans l'idée de revenir.
Je suis l'un d'entre eux. Il y a longtemps, j'ai choisi d'être comme Gil d'Eanes, j'ai franchi le cap Bojador et je suis parti à la découverte de l'Afrique, à la recherche de l'oasis perdue de Zerzura ou de toute autre aventure qui ressemblait à de la folie.
J'ai escaladé des volcans, traversé des déserts, vu les dernières caravanes de chameaux des Afars et des dizaines d'éléphants sur des routes oubliées du Cameroun, même vu la chasse au caracal... Je me souviens avoir prié Dieu devant les dunes du Tanezrouft et le diable dans les pires antres de Bamako. J'ai fumé des herbes étranges avec les Hadzabe, bu du Konyagui avec d'autres amis guides au coeur du Serengeti et dansé le mbalax dans les nuits de Dakar (avec ce style personnel qui m'est propre et qui n'a jamais été bien compris...). Il y a eu des nuits où j'ai dormi seul sur la dune de Chinghetti et d'autres où je me suis enivré avec une compagnie de la légion étrangère française dans un village perdu de la Vakagá, en chantant cette chanson... Le Diable marche avec nous. Une chanson si africaine, et que j'ai besoin d'entendre quand la nostalgie des anciens camarades et des aventures passées m'envahit.
Bref, au cours de ces années, j'ai vu des coups d'état, vécu des révolutions, je me suis fait tirer dessus, arrêter, escroquer, menacer, déplacer, tomber amoureux et même séduire (enfin, je ne sais plus si ce dernier cas m'est arrivé une fois ou non), et c'est donc ici, à Dakhla, là où mon aventure a commencé il y a tant d'années, que je commence cette autre, pour vous raconter l'Afrique que j'ai vue, et j'espère que vous aimerez ce que vous y découvrirez.
Je ne vous demande qu'une chose, ne pas prêter trop d'attention aux idées d'Hérodote et oser franchir vous-mêmes le Cap de la Peur.
Mary de la Plaza
Publié à l'adresse suivante 13:15h, 06 avrilEn réalité, je vous envie de pouvoir faire des voyages aussi différents et intéressants. Voyons quand vous organiserez un voyage pour ceux d'entre nous qui veulent voyager avec vous.
undiaenlavidadecuchara
Publié à l'adresse suivante 07:34h, 08 avrilSi cette année, nous n'allons pas cesser de faire des voyages, et tous sont très intéressants... !!!! Il vous suffit de fixer les dates et les lieux où vous souhaitez vous rendre....