06 Avr Le collectionneur de déserts
La légende veut que pour freiner les velléités d'invasion de l'Éthiopie par Mussolini, on ait demandé à ce dernier d'occuper le désert éthiopien de l'Ogaden, une partie du désert du Danakil et d'étendre ses territoires à la Libye, mais il a répondu avec colère qu'il n'était "pas un collectionneur de déserts".
Je les collectionne et je veux toutes les voir, de la mer de dunes de l'Azefal, à l'erg de Bilma ou aux dunes noires de Qattara. Toutes. J'ai à la maison un moleskine qui est ma perte, dans lequel j'écris chaque désert qui apparaît dans ma vie, et qui, après avoir pris une page de mon journal, devient ma prochaine obsession. Et je ne peux plus m'arrêter jusqu'à ce que j'y aille. Je me souviens que sur la première page de ce carnet, j'ai noté les dunes rouges d'Achkar, puis ont suivi les pics noirs du Tibesti, Amukruz et ses forêts d'acacias, les dunes ondulantes d'Amatlich, ou les lagunes colorées d'Ounianga où les hérons et les flamants roses se reposent de leur long voyage... J'ai noté tant d'endroits de peur que le temps n'efface de ma mémoire les rêves que j'avais faits.
C'est pourquoi je suis venu au sud de la Libye, près des montagnes de l'Akakus, poursuivant cette obsession, ravi de profiter de tout ce que le Duce ne voulait pas. Je voulais m'échapper de l'autre côté de la dune, me baigner dans les lacs Ubari, l'une des plus belles oasis du monde, ou voir les ruines de Germa, la capitale des Garamantes, le royaume des sables.
Et c'est pour cela que j'ai accepté l'invitation d'un ami qui m'a demandé de l'accompagner à Djibouti, enfin pour cela et parce que je n'ai jamais refusé un combat, je n'ai jamais fait l'argent d'une fille, ni dit non à une aventure... (ni à quoi que ce soit d'autre d'ailleurs). J'y suis donc allé, afin de refermer une page de mon carnet laissée ouverte lors de ma dernière visite dans ce pays. Et là, de l'autre côté de Djibouti, se trouve l'un des endroits rejetés dans ce fameux deal, et au milieu du désert du Danakil, le lac Abbe, qui était exactement ce que j'avais en tête et que je voulais vous raconter aujourd'hui.
Le voyage n'est pas facile, le paysage est rude, la route traverse les déserts du Grand et du Petit Bara avant de disparaître à Dikhil, le dernier village, la chaleur est extrême, la nourriture est rare et l'hébergement inexistant, mais comme le disait Livingstone, dans cette expédition, il n'y a pas que des plaisirs...
Le seul plaisir est celui de la vue, je me souviens avoir décrit ainsi ma première vision du lieu : Le spectacle vous paralyse, vous remplit, vous émeut. On a envie de s'arrêter pour le contempler et en même temps on a envie de le parcourir. On veut tout. Vous êtes heureux que l'endroit soit si éloigné, si dur et si inconnu qu'il n'est que pour vous... mais en même temps vous voulez le partager (je ne me souviens pas si j'avais bu quand j'ai écrit cela, mais je ne l'exclus pas).
Le paysage était incroyable, il y avait un désert, blanc, et un volcan, un lac bleu, et des centaines de cheminées fumantes, et des caravanes de chameaux et des milliers de flamants roses dans le lac, et des autruches, des hyènes, des phacochères, des gazelles ..... Et ce guide, Jacob, que j'ai pris à Dikhil pour me guider dans ce dédale de cheminées. Personne d'autre. Seulement eux deux, et quelques bergers afars, c'est leur territoire, un peuple dur même dans ses relations, comme la terre à laquelle ils sont attachés. Autrefois, ils étaient craints pour leur coutume de couper les testicules de leurs ennemis et de les suspendre à leur cou. Il semble qu'ils aient abandonné cette vilaine habitude, ou du moins qu'ils ne m'aient pas laissé "nenuco", mais la vérité est que, juste au cas où, je n'ai pas dormi la nuit.
Nous avons campé là, au milieu des rochers, je n'avais pas l'intention de partir, nous avons fait un feu, parlé de la vie, mâché du qat et bu du gin tonic, un classique. Au bout d'un moment, je me suis assoupi et tout ce que j'entendais, c'était le crépitement du feu et les rires des hyènes qui rôdaient autour.
Dans sa chute, j'ai imaginé ce qu'a dû ressentir Rimbaud, le poète maudit devenu aventurier, lorsqu'il est arrivé là avec ses chaussures à semelles de vent. Il fut le premier à le voir. Puis Henry de Monfreid, capitaine de voilier en mer Rouge, trafiquant d'armes et de haschich, pêcheur de perles, chasseur au Kenya, photographe, peintre... une vie intense. Je suis arrivé bien plus tard, mais il n'y en a pas eu beaucoup plus entre les deux. Et c'est ainsi qu'elle demeure, éternelle, telle que l'a vue Rimbaud, attendant que vous arriviez et que vous commenciez votre collection.
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