Le secret du Niger

Quelques-uns des grands exploits du XIXe siècle, tous protagonistes de nombre de mes rêves avouables, ont eu lieu en essayant de percer les mystères du Niger, un fleuve dont personne ne savait où il se trouvait, ni où il allait, mais qui, peut-être pour cette raison, exerçait un incroyable pouvoir d'attraction. Un fleuve à l'esprit rebelle qui, né dans les jungles du Futa Djalon, près de la côte, préfère la fuir, se tortillant jusqu'à entrer dans les sables brûlants du désert contre toute logique... Non, si j'étais un fleuve, je ferais la même chose, je vous comprends parfaitement.

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La perspective de retourner au Mali à l'automne prochain, d'aborder le port de Koulikoro et de descendre en pinasse le fleuve jusqu'à Tombouctou m'a fait penser à ces explorateurs qui ont tenté de s'y rendre en suivant une impulsion irrépressible. Aussi forte que celle qui a poussé Gordon Laing à ramper pendant 600 kilomètres dans le désert du Tanezrouft malgré de graves blessures (il a reçu deux balles et jusqu'à 28 coups de sabre assez sérieux), celle qui a donné à Oudney la force de mourir stoïquement sur un chameau rongé par la fièvre, ou qui a entraîné Mungo Park à s'enfoncer seul à l'intérieur de l'Afrique... Beaucoup d'autres ont essayé, Clapperton, Lander... tous comme Joseph Conrad, attirés par ces espaces vierges d'un merveilleux mystère. Je les comprends aussi...

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De tous ceux qui ont essayé, je pense que c'est à Ledyard que je m'identifie le plus. On raconte que la Royal Geographic Society l'a convoqué pour lui demander de se rendre au Caire et, de là, de s'enfoncer à l'intérieur de l'Afrique, en traversant un grand désert inconnu jusqu'à ce qu'il atteigne le Niger et en révèle le secret. Ce jour-là, lorsque Sir Joseph Banks lui demanda quand il serait prêt à partir, il répondit "demain matin". C'est comme ça que je l'aime, impulsif et sans cervelle, comme l'un des soussignés...

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Mon chemin était différent, car le vent avait déjà effacé les pas de ces aventuriers, et bien que beaucoup moins dangereux, il n'était pas facile non plus, car j'ai été surpris par la rébellion touareg dans l'Azawad, le coup d'état du capitaine Sanogo, l'attaque terroriste occasionnelle, et pire, l'absence de couverture wifi dans la plupart de l'itinéraire. Alors quand je me suis vu pour la première fois devant le Niger, si près de Tombouctou, le repère de mes voyages sahariens, réalisant ce dont j'avais si souvent rêvé en parcourant la carte avec un crayon, mes yeux se sont remplis de larmes et mon cœur de souvenirs. Mais c'est peut-être le gin tonic que j'ai dégusté en regardant le coucher de soleil sur le Niger depuis cette terrasse de Ségou qui a adouci mes sentiments.

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De la terrasse, j'ai regardé passer la dernière pinasse de la journée. Et c'est ainsi qu'il faut voyager sur le Niger, lentement et dans une pinaza, en observant des groupes de femmes qui font la lessive, des familles d'hippopotames ou des vieillards à l'ombre d'un gigantesque baobab, en train de bavarder, avec tout le temps du monde à perdre... La pinaza devient le transport de l'âme, un état d'aventure permanente et d'exaltation continue des sens. Le Niger est l'axe de la vie, traversant les îles des pêcheurs Bozo, les villages Bambara ou les villes légendaires comme Ségou et Djenné. Inoubliable est le passage par le port animé de Mopti au coucher du soleil ou le mélange d'arômes (ou plutôt d'odeurs), de couleurs, la musique d'un djembé ou les cris des marchés où des centaines de Bambaras, Dogons, Peuls, Bozos, Songais, Sénoufos, Mandingues ou Touaregs viennent avec leurs esclaves Bellah. Au-delà du port de Mopti, le Niger entre dans le désert, et la solitude se fait sentir dans toute sa grandeur. Puis vient Tombouctou, la perle du désert, la ville des 333 saints (bien qu'il n'en reste plus beaucoup), ou Gao, la capitale de l'empire Songhaï......

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Sur ses rives, il y a bien longtemps et grâce à l'Espagnol Es Saheli, est né l'art soudanais, qui a su unir l'eau, la boue et la paille pour en faire une œuvre sublime et un style inimitable. Allez voir de vos propres yeux la mosquée de Djenné, la plus grande construction en terre au monde, parcourez sa façade en écoutant la litanie des enfants récitant les sourates du Coran... Allez la voir et vous comprendrez ce que je veux dire.

Mais un autre jour je vous parlerai de ces lieux, aujourd'hui je voulais vous emmener à Ségou. Non loin de là se trouvent les ruines de Sekoro, l'ancienne Ségou, l'ancienne capitale de l'empire Bambara, où le temps a fait son œuvre depuis longtemps et où elle n'est plus que le domaine des morts.

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C'est là, à Ségou, sur les rives du fleuve, après plus d'un an de voyage en solitaire, après avoir été capturé, battu, volé, trompé, rendu malade... que Mungo Park est arrivé et a révélé le secret du cours du Niger.

Et heureux de son exploit, alors qu'il expliquait à un autochtone, probablement un Bambara, l'importance de son exploit et les nombreuses souffrances qu'il avait endurées pour y parvenir, l'autochtone surpris, avec ce pragmatisme si typique de l'endroit, lui demanda : "Il n'y a pas de fleuves dans ton pays ?

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Désertion
setielena@gmail.com
4 Commentaires
  • Teo
    Publié à l'adresse suivante 17:55h, 23 juin Répondre

    Beau texte chargé d'histoire et dont la fin me fait réfléchir sur la curiosité de l'homme blanc d'explorer, de découvrir de nouveaux horizons et des contrées lointaines... pourquoi n'éprouvent-ils pas cette curiosité d'explorer d'autres latitudes ? Peut-être parce qu'ils n'en ont pas les moyens, mais peut-être aussi parce qu'il y a dans leur nature une composante humaine qui n'a pas le moindre intérêt pour l'inconnu.
    Tombouctou, ma mère, son nom à lui seul évoque le mystère, la religion, la sagesse et je ne sais combien d'autres choses enfouies par le temps et le sable du désert. Magnifique entrée en matière.
    Salutations...

    • undiaenlavidadecuchara
      Publié à l'adresse suivante 18:52h, 23 juin Répondre

      Bonjour Teo, merci beaucoup pour votre message, je suis très heureux de savoir que vous aimez mes écrits.
      En ce qui concerne votre réflexion, il est clair pour moi qu'elle est exclusivement due au manque de ressources. Pour nous aujourd'hui, il est très facile de voyager et d'explorer aussi longtemps qu'il le faut, nous savons que ce n'est qu'une parenthèse, quand nous rentrerons à la maison tout sera encore là, mais il y a tant de milliers d'Africains qui quittent tout et partent vers l'inconnu à la recherche d'une vie meilleure, l'objectif est différent mais l'incertitude et le danger face à l'inconnu sont similaires. Je vais vous recommander la lecture de deux livres très différents : Le voyage de Kalilu, écrit par un jeune Gambien qui tente par tous les moyens d'atteindre l'Espagne, qui vaut la peine d'être lu. Le deuxième livre est Un Africain au GroenlandIl s'agit d'un Africain du Bénin qui veut découvrir ce qu'est le Groenland, moins choquant que le premier mais aussi curieux. Une accolade

  • jose costa collell
    Publié à l'adresse suivante 13:22h, 25 juin Répondre

    Mon premier voyage en Afrique était au Mali, de bons souvenirs, même quand je me suis perdue une nuit dans le désert de Tombouctou hahaha et que je me suis retrouvée dans un camp qui n'était pas le mien. Un câlin

    • undiaenlavidadecuchara
      Publié à l'adresse suivante 16:21h, 25 juin Répondre

      Tombouctou n'était pas l'endroit pour se perdre et se retrouver dans un autre camp, qui pourrait être mauvais, hahaha. Une accolade

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