12 Juil El Ogooué : Une autre rivière, un autre fou, un autre rêve...

Au fil des ans, mon esprit s'est un peu adouci et les jours où je me jetais dans l'aventure, poussé par quelque serment nocturne ou à la recherche d'un baiser inaccessible, commencent à céder la place à ceux où j'aime relire ces aventures proches du fantastique qui m'ont si souvent fait rêver et qui m'ont valu tant d'ennuis.

Et il faut croire que je mûris enfin, car ce soir j'ai le plaisir d'évoquer une grande folie d'exploration africaine dont j'ai essayé de suivre les traces, à ma manière et avec des résultats mitigés.

Je veux parler des exploits d'Emile Gentil. Il y a quelques jours, je vous parlais de ses aventures pour percer le secret du fleuve Niger, et cette fois-ci, je vous emmène sur le fleuve Ogooué, plus au sud. Un autre fleuve, un autre fou, un autre rêve...

La folie imaginée par Gentil consistait à parcourir l'intérieur du Gabon sur le fleuve dans un bateau à vapeur, à le démonter à sa source et à le transporter sur son dos à travers jungles, savanes et zones marécageuses pour le remonter au Tchad et naviguer sur les fleuves Logone et Chari jusqu'au bourg de Kousseri, à l'extrême nord du Cameroun...

Et si l'histoire peut paraître simple, elle a été compliquée par la maladie, les animaux sauvages et les habitants hostiles du royaume de Kanem Bornu.

Une idée folle, mais comme l'a dit Unamuno, "Seul celui qui tente l'absurde est capable de conquérir l'impossible". Et moi, qui n'ai pas réalisé d'impossible, mais qui ai fait quelques choses d'absurde, je suis allé naviguer sur ces fleuves, et bien sûr, je suis entré à Kousseri. Je ne sais toujours pas pourquoi je l'ai fait, si c'est parce que c'était au bord de tout, et que le bord m'a toujours tenté, ou si j'y suis allé simplement parce que je n'y étais jamais allé auparavant. Le fait est que j'y suis entré.

Je n'ai pas l'habitude de beaucoup planifier, car planifier en Afrique, c'est fantasmer, comme l'a dit Moravia, et je l'ai appris dès mon premier jour. Je voyage léger, mais il ne manque jamais dans mon sac à dos un morceau de fuet, un couteau, ma moleskine, une carte, le foulard qu'un Sahraoui m'a offert, une couverture kikoi kenyane, quelques T-shirts et mon pantalon porte-bonheur (propre). C'est tout ce qu'il me fallait pour tout quitter et disparaître... et c'est ainsi que je suis monté sur une barge branlante (sans intention de la démonter) et que j'ai pris le chemin de l'Ogooué, pour terminer une aventure commencée il y a longtemps.

Nous avons longé les plages sauvages du Gabon, en roulant à mi-vitesse, à travers de denses mangroves rouges et noires ou des forêts inondées, à travers des villages Fang perdus, à travers des forêts vierges et de petites clairières, où les timides sitatungas ou buffles et les éléphants de forêt viennent souvent s'abreuver. C'est la fin d'une grande aventure en plusieurs étapes. Attaché aux plaisirs de la chair, je suis rentré quand le fuet a été terminé. D'ailleurs, si je me suis régalé, j'avoue avoir eu un peu peur de cette nuit si noire, envahie par le chant des grenouilles, quelques éclaboussures inquiétantes à proximité, le cri des singes ou le mouvement invisible de quelques mammifères... cette nuit-là, tout m'a tenu en alerte.

Il y a quelque temps, j'avais voyagé le long des fleuves Chari et Logone, naviguant en canoë entre les villages Saras au Tchad, ou visitant les villages Musgum au Cameroun, avec leurs bâtiments caractéristiques. C'est là que cette aventure a commencé pour moi. Je me souviens des couchers de soleil sur le Chari, de l'odeur de la mangue ou de la noix de kola, des troupeaux d'aigrettes émergeant en groupe d'un acacia solitaire ou du ronronnement proche d'une famille d'hippopotames. Aujourd'hui, depuis la prison lointaine de mon bureau, je me souviens de ces jours avec une nostalgie particulière.

Par le Chari, j'atteignis Kousseri, le bourg, où se dressait encore le palais du sultan Rabih, celui qui avait combattu Gentil sur le fleuve et perdu. A côté du palais, il y avait un marché coloré de misères, alimenté par un trafic incessant de motos, de camions et de chameaux, tous lourdement chargés, qui traversaient sans cesse le Chari par le seul pont existant qui se terminait à la frontière avec le Tchad. Là, sous un rythme infatigable, tout se vend et tout est possible.

Et ce soir, en me rappelant avoir traversé les villages perdus des Fang, navigué parmi les hippopotames du Chari ou regardé les éléphants de Kalamaloue s'approcher de la ville de Kousseri, j'ai pensé avec bonheur que cela avait été une incroyable aventure, une de plus.

Et comme le dirait Hellen Keller, sourde, aveugle et combattante, la vie, c'est l'aventure ou ce n'est rien ?

En parlant d'aventures, et comme je ne veux pas que mes conseils se perdent ou tombent dans l'oreille d'un sourd, je les écris à nouveau et les sauvegarde :

1. choisir une destination différente, lointaine et inaccessible.
2) Une fois que vous avez choisi, n'y réfléchissez pas à deux fois
3 - Choisissez ensuite avec soin la personne qui vous accompagnera.
4) Une fois que vous avez fait votre choix, réfléchissez-y à deux fois.
5- Apporter un bon plan
6 - Ne le suivez pas. Changez-la en cours de route, adaptez-vous à elle.
7- Pendant le voyage, faites toujours quelque chose de nouveau, quelque chose qui vous fait très, très peur.
8) Ne vous arrêtez pas de faire des choses que vous regrettez de ne pas avoir faites, ni de faire des choses que vous regrettez plus tard d'avoir faites.
Tombez follement amoureux en cours de route, trois jours maximum.
10 - Ne soyez pas paresseux
11.- Rire de tout
12.- Essayer (presque) tout
13- Enfin, pensez avec votre cœur et non avec votre tête (ou tout autre appendice de votre corps...).