04 Déc République centrafricaine : Mission à Birao
Chaque fois que je rentre de Tripoli, j'en profite pour me retirer dans mes quartiers d'hiver. J'aime profiter en famille des paisibles automnes bruxellois, avec leurs jours gris, les arbres aux mille nuances d'ocre et de jaune, ou contempler la pluie derrière les vitres, qui d'ailleurs ne s'arrête jamais et me tape déjà sur les nerfs. Le malheur, c'est que je deviens mélancolique, et comme le disait Machado Des histoires tristes me reviennent en mémoire, sans poésie. Des histoires qui rendent mes cheveux presque blancs....
Asín En retournant dans le désert, je vais profiter de cette mélancolie qui m'envahit pour vous parler d'une étape de ma vie "jamais racontée" où j'ai eu l'occasion de visiter l'un des endroits les plus impressionnants dont je me souvienne, un endroit où l'Afrique m'a montré toute sa crudité. J'y ai vu des choses que je n'ai jamais voulu voir... et aujourd'hui, j'ai enfin le courage de les sortir des profondeurs de ma mémoire pour que vous puissiez les connaître.
D'ailleurs, la faute en revient à mon ami Santi, qui a passé quelques mois à Bangui à parler des petits anges de la coalition Seleka et qui, avec ses photos, m'a arraché mes souvenirs jour après jour. Maintenant, il y a une autre guerre, plus violente peut-être, avec d'autres noms et d'autres excuses, mais en fin de compte, plus de la même chose...
Ma mission se déroulait dans la ville de Birao, dans la préfecture de Vakaga, un coin perdu de la République centrafricaine, au confluent du Soudan et du Tchad. Tellement oublié que l'empereur Bokassa a choisi cet endroit pour bannir à jamais les ennemis qu'il ne voulait pas manger. Si loin qu'il était impossible de l'atteindre par voie terrestre sans risquer sa vie. Si isolé qu'il représentait au moins la terre promise pour ceux qui avaient perdu tout ce qu'ils avaient, même l'espoir. C'est ainsi que je me suis sentie isolée, mais pas seule, pendant mon séjour à Birao. Surtout pendant la saison des pluies, lorsque le village devenait une île et qu'il était impossible d'y entrer ou d'en sortir.
Heureusement, j'ai été accueillie en leur sein par les commandants du Régiment étranger de parachutistes de la Légion étrangère française, qui y avaient leur détachement. Il y avait aussi un centre de Médecins du Monde, avec deux femmes médecins, pour une mission tout aussi belle et importante, mais j'ai eu beau faire bonne figure, elles ne m'ont pas accueillie dans leur giron.
Peu après mon arrivée, la ville de Birao avait été attaquée et brûlée par les rebelles de l'UFDR, par les redoutables milices Janjaweed et même par les milices de l'Armée de résistance du Seigneur de Joseph Kony, célèbre pour vouloir imposer un gouvernement basé sur les 10 commandements et l'utilisation des bicyclettes. Voilà un homme de jugement. Malgré cela, d'importants groupes de réfugiés continuent d'arriver, principalement du Darfour, fuyant les dernières attaques des Janjawids.
Pendant la semaine, nous étions donc escortés dans la région à la recherche d'éventuelles poches de réfugiés. La plupart du temps, nous trouvions quelques groupes qui tentaient de survivre et nous essayions de les déplacer vers un grand camp de réfugiés.
Lors de l'une de ces patrouilles, nous avons découvert l'école dont j'ai déjà parlé, et l'aide apportée à ces enfants a été l'un des projets les plus gratifiants auxquels j'ai participé.....
Mais il y a aussi eu des moments de plaisir et de camaraderie. Je me souviens de ces vendredis soirs, où l'on buvait en oubliant que c'est parfois le meilleur remède, et pour un cœur aussi sensible que le mien, la double ration. Même si c'est du perroquet et de la tomate, ces cochonneries que les Français font avec du pastiss et qu'ils sont les seuls à aimer autant (et que je buvais pour ne pas en faire un gâchis, bien sûr...). Même le soir où je leur ai préparé un exquis calimocho parachuté, je n'ai pas réussi à les convaincre d'évoluer vers des goûts plus raffinés.
Après le premier pastiss commençaient les chants, avec les suivants nous nous promettions fidélité, fraternité et maternité, et pour les dernières pelotes nous nous disions que tu es mon deuxième meilleur ami, etc etc. Puis, en fredonnant sa chanson Le diable marche avec nous, qui résonne encore dans ma tête, je rentrais dans la case, pour dormir sous l'etoil d'Afrique. Là, l'obscurité et le silence le plus absolu, rompus seulement par le bruit lointain d'un groupe électrogène encore en marche et par les cercopithèques verts, ces singes omniprésents, qui rôdaient sans cesse autour de ma case à la recherche de mon paquet de pain bis, mon trésor le plus précieux...
Là, j'ai partagé une case, mais en laissant l'air circuler, avec mon ami Birane, un Sénégalais (pour des raisons de sécurité, j'ai effacé les noms des uniformes afin que personne ne puisse savoir qui est chacun d'entre nous). J'ai eu la chance que le destin nous fasse nous retrouver des années plus tard au Sénégal, la vie continue de tourner. Fervent musulman, il me parlait toujours de l'Islam et de son projet de faire le Hajj. Il commençait chaque matin à la fraîche (à quatre heures et demie) par prier dans le petit espace entre nos lits. Cela m'obligeait à dormir avec un œil toujours ouvert, car chaque nuit la même scène se répétait et nuit après nuit j'étais morte de peur, parce qu'il semblait qu'il venait pour moi. C'était un véritable cauchemar.
Pour revenir au village, au centre de celui-ci, entouré de manguiers touffus, se trouvait un immense baobab, à l'ombre duquel se déroulait la vie quotidienne du village. Il servait non seulement de point de rencontre, de lieu de réunion, de panneau d'affichage ou encore de marché, mais il avait aussi un caractère sacré et à ses pieds reposaient quelques-uns des meilleurs griots du village.
Bien que petit, nous avions aussi un restaurant, le Chuiterí Kounda. Enfin, il y en avait un autre, mais nous n'y sommes jamais allés parce qu'il avait l'air si mauvais. La chèvre carbonisée était un classique parmi les suggestions quotidiennes du chef, et j'avoue que je l'ai beaucoup aimée.
Non loin de Birao se trouvait la réserve naturelle de Manovo Gounda St Floris, classée au patrimoine mondial de l'UNESCO pour la grande diversité de sa flore et de sa faune. J'ai eu la chance de pouvoir patrouiller dans la réserve, mais comme la plupart des routes étaient fréquentées par des braconniers et des voleurs, et que je n'arrivais pas à convaincre Birane, qui avait plus de bon sens que moi, de m'accompagner, j'ai renoncé à ma brillante idée de louer une voiture et d'explorer le parc par moi-même, ce que mon corps me demandait de faire.
Ces animaux qui ressemblent à deux zébus, s'habillent comme deux zébus et meuglent comme deux zébus sont donc les animaux les plus sauvages que j'aie jamais photographiés, sans compter les cercopithèques, qui m'ont fait tellement plaisir.
La moitié du village étant musulmane et l'autre moitié catholique, il y avait également une mosquée et une église dans le village. Certains dimanches, le prêtre de la paroisse locale venait à Birao pour dire la messe. Je n'en savais pas grand chose car elles étaient en sangho, et en plus elles duraient plus de deux heures et après les cinq premières minutes j'ai tendance à me disperser, mais elles étaient infiniment plus gaies que celles de la paroisse de San Damaso que je fréquentais enfant, (et dont je garde un très bon souvenir), alors j'aimais bien y aller. J'avais préparé une vidéo pour que vous compreniez ce que je veux dire, mais je n'y arrive pas, si quelqu'un m'aide je la téléchargerai (c'est moi qui télécharge la vidéo, pas la personne qui m'aide, bien sûr).
Et sur ce, je vous laisse pour aujourd'hui, vous en savez un peu plus sur la vie à Birao, un endroit oublié dans la préfecture de Vakaga... La vie n'était pas facile, mais je m'y plaisais. Un jour, un avion est venu m'emmener loin de là, pour ne plus jamais revenir. C'est pourquoi j'étais si triste.
Pedro Sanz
Publié à l'adresse suivante 23:43h, 08 décembreCarlitos, je dois admettre que la mélancolie de l'automne belge a eu un effet étrange sur vous. Elle vous a conduit à écrire l'une de vos histoires les plus drôles. Les paradoxes de la vie. Et la mission s'annonçait difficile. Une accolade de presque Bogota.
undiaenlavidadecuchara
Publié à l'adresse suivante 18:00h, 09 décembrePedro, j'ai déjà entendu dire que les choses se passaient bien là-bas... Embrasse-moi et emmène-moi avec toi.
Pilar
Publié à l'adresse suivante 18:05h, 11 décembreHeeey, je suis ravie d'entendre parler de tes aventures !
Une accolade
Manolo Melero
Publié à l'adresse suivante 16:46h, 23 décembreVous m'avez impressionné. Je suis impressionné par votre présence ici, par vos progrès en matière de photographie, par ce que vous écrivez et par votre apparence. Je suis heureux de tout cela et de te voir ainsi. Un gros câlin de la part de quelqu'un qui se considère comme ton ami dans tous les sens du terme.
undiaenlavidadecuchara
Publié à l'adresse suivante 20:11h, 23 décembreManolo, mais malgré ces aventures africaines, je me souviens très bien de nos aventures en Moldavie, en Russie, etc etc, et surtout de ces saisons en Biélorussie. Un gros câlin Manolo, et j'espère que cet hiver nous pourrons boire quelques bières ensemble.